L’araignée

Jul 10, 2009

L’araignée

Depuis quelque temps, d’étranges piqûres sont apparues sur mon corps. Les premières étaient situées sur le ventre, en plein milieu, autour du nombril. Puis progressivement, elles se sont étendues, dans toutes les directions. D’abord vers le bas-ventre puis le haut des jambes. Ensuite ce sont les bras qui ont commencé à se tacheter de petits points rouges.

Je dois admettre qu’au début, ce n’était pas gênant, on se gratte un peu ici et là mais rien de bien méchant.
Je me disais : « Ce doit être une petite araignée qui fait son nid dans mon lit ! ».
Au bout d’une semaine, les points rouges progressaient toujours, c’est comme si j’étais devenu sa réserve personnelle de nourriture.
C’en était trop, il fallait agir et vite avant que la bête ne me dévorât vif !

Le soir même j’élaborais un plan d’attaque, bien décidé à en finir avec le monstre.
Et c’est ainsi, qu’armé d’une pantoufle verte et bleue à carreaux et d’un couteau suisse multifonction, je me suis assis, au beau milieu du lit, prêt à en découdre avec la bête. Je l’imagine déjà, toute noire, dotée d’une grosse tête rouge, prête à surgir à tout instant afin de planter au plus profond de ma chair ses mandibules acérées.

Déjà, quelques heures se sont écoulées et rien ! Pas un seul mouvement n’est venu perturber cette attente.
Peut-être la lumière l’effraie t-elle ? Mais si j’éteins, comment la repérer ?
Puisqu’elle ne vient pas à moi, autant la traquer si je voulais un jour dormir en paix.

En premier lieu bien sûr, regarder sous les draps, doucement, sans brusquerie pour ne pas la faire fuir. C’est ainsi que centimètre par centimètre je soulevais ce que je pensais être le dernier rempart qui me séparait de la velue.

Une fois le lit mis à nu, toujours aucune trace du cannibale. Je regarde sous le lit, rien, au plafond non plus.
Peut-être ce genre d’animal est-il capable de percevoir les émotions telles que la peur ou l’anxiété, ou tout simplement si son mets favori est ou non assoupi !

Lui tendre un piège est donc la seule solution. Tout en sifflotant pour détourner l’attention, je me couche et ralentis ma respiration. Chaque millimètre carré de mon corps est à l’écoute du moindre pas ou de la moindre vibration.
Rien ne se passe et au bout de quelques minutes, j’oublie complètement ma mission.

A l’instant même où je me croyais à l’abri du danger, bien au chaud dans mes rêves, une douleur fulgurante me réveille en sursaut.
Non contente de me mordre, elle me nargue. Immédiatement, je relève les draps d’un geste vif, et c’est alors qu’enfin je la trouve là, seule perdue au milieu de mon grand lit.
Surtout ne pas l’écraser !
Je vais la suivre et en finir une bonne fois pour toutes, on ne sait jamais, sa famille est peut-être nombreuse. J’attrape une lampe de poche et la suis vers son antre.

Elle semble très bien connaître la maison, car non seulement elle sort de la chambre, mais de plus elle file sans détour vers une fissure du mur de la salle de bains dont je ne soupçonnais même pas l’existence.

Il est minuit, au diable les voisins, je vais chercher de quoi agrandir l’antre de la bête.
Le trou est profond, d’ailleurs si j’étais une araignée je dirais qu’il est très bien aménagé.
Le plus étrange c’est qu’aucun des membres de cette famille araignée ne semble m’avoir repéré, comme si leur petit nid n’avait pas encore été sauvagement détruit par l’arme de destruction massive qu’est mon tournevis cruciforme.
Sans le moindre remords, j’extermine la maman araignée et ses rejetons.

Libre enfin ! Dormir sans craindre la morsure vampirique d’un arachnide affamé.
Le lendemain matin, la journée semble parfaite, pas de nouvelle piqûre et les vieilles démangeaisons se dissipent.

Deux nuits de repos le plus absolu plus tard, les petits points rouges réapparaissent. Je retourne dans la salle de bains pour être certain que le repère avait bien été rasé. Pas de doute, il y en a un autre ailleurs.
Le soir même je décide d’aller dormir dans le salon, emmitouflé dans un cocon de couvertures, inattaquable depuis l’extérieur. Mais rien n’y fait, au petit matin, je suis couvert de morsures qui forment cette fois-ci une spirale quasi-parfaite ayant pour centre mon nombril.

Difficile d’exprimer l’impression étrange que cela fait, de comprendre qu’une petite bête a trouvé refuge dans votre ventre.
Il faut pourtant se rendre à l’évidence, je suis devenu une maison.
Une fois dans la salle de bains je regarde tant bien que mal l’intérieur de mon nombril, impossible de distinguer quoi que ce soit : l’obscurité la plus totale.
J’ai beau me mettre en pleine lumière, rien. C’est à peine soulagé que je pars travailler.
Mais le doute persiste et grandit. Ce n’est pas parce que je n’ai rien vu qu’il n’y a rien. Et puis, comment faire confiance à mes yeux, il se peut que pour me protéger je me cache volontairement la vérité.

De retour dans la salle de bains je décide cette fois-ci de généraliser l’auscultation. Partir des pieds pour arriver à la tête, se voir tel que je suis, le plus objectivement possible. De cette façon, rien ne devrait m’échapper, pas la moindre petite parcelle de peau morte ou de recoin obscur.
Dure réalité, moi qui pensais que mes pieds étaient bien faits et correctement proportionnés je m’aperçois qu’en fait les orteils ne sont pas si droits que ça, que la voûte plantaire s’affaisse, que les ongles ne sont pas si réguliers…
Ça commence bien, remettre en cause ne serait-ce que ses pieds est un bon début pour l’analyse critique d’une situation.
Je continue l’inspection, et bien avant d’avoir pu atteindre le ventre, il se met à bouger, à remuer de l’intérieur, sans douleur, comme si c’était normal.
Ne pouvant plus me déplacer, je m’allonge sur le carrelage, tête redressée afin de tout de même voir ce qui se passe.

Mon ventre s’est arrêté de bouger, c’en est presque dommage, la sensation était étrange mais agréable, peut-être est-ce ce que ressent une femme enceinte ?
Plus rien, le calme absolu, même si je sais que quelque chose est en moi, je suis serein, peut-être trop.

En regardant mon ventre, je m’aperçois que les traces de piqûre ont toutes disparu, j’observe plus en détail et vois une tête qui sort de mon nombril.
Pas de doute, c’est une araignée.
Ou plutôt c’est un corps d’araignée avec ma tête dessus.
– Eh bien, me dit-elle, tu as l’air effrayé, aurais-tu peur de moi ?

Je suis ébahi, une araignée qui parle. Mais pas n’importe quelle araignée, après observation celle-ci possède deux bras, un ventre, des jambes et une tête….
Elle grossit encore et encore, à en devenir gigantesque.
Ou alors est-ce moi qui rapetisse ?
Et puis, comment se fait il que je la perçoive encore araignée ?
Car finalement, je suis étendu par terre face à moi !

Ne sachant que répondre, elle profite de mon silence pour sortir entièrement, et reprend de plus belle :
– Tu peux me dire ce que tu fais ici, loin de ta maison ?

La situation devient ardue, je n’ai pourtant jamais eu ni jumeau, ni hallucination… enfin je pense… enfin je crois…

Et puis, même si ma vie n’avait été que mensonges et divagations, ça ne change rien à cette réalité potentiellement virtuelle, de ce jumeau araignée qui me demande ce que je fais loin de ma maison !
– Bien, si tu ne veux pas répondre, je ne vais pas passer ma nuit à te regarder…

Plus les secondes s’écoulent, moins je ne sais quoi répondre. Le plus étrange est que tout me semble normal. Peut être suis-je dans un rêve, ou alors devenu fou, qui sait…
Mais, si j’ai conscience que je deviens fou, ne serait-ce pas plutôt que je commence à comprendre que je ne le suis plus ?
Ou bien est-ce le contraire ? Et puis, en admettant que j’étais fou, que suis-je maintenant ?
Puisqu’il me semble impossible de résoudre ces énigmes grâce à ma seule raison, autant aller de l’avant et affronter cette vérité, aussi illusoire qu’elle puisse être :
– Pourquoi dis-tu que je suis loin de ma maison, alors qu’il me semble pourtant être dans la mienne ?
– Tiens ! Une araignée qui parle, c’est étrange…
– Mais je ne suis pas une araignée, tu es sorti de mon ventre à l’instant !
– Ah bon ? Et si tu n’es pas une araignée, dis-moi pourquoi tu as huit pattes velues et des mandibules ?

Quel culot, je n’ai pourtant qu’à me regarder pour voir que je n’ai pas de…… Huit pattes ! D’où me viennent ces huit pattes ?
Comme c’est pratique, je peux courir très vite. Oh ! Et sur les murs également !
Je pourrais presque me faufiler dans ce petit trou de la salle de bains que je ne connaissais pas…

Mais, que fait-il à cette heure de la nuit, ma pantoufle verte et bleue à carreaux dans sa main……

FIN

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2 Responses so far | Have Your Say!

  1. Hy3rya
    May 22nd, 2011 at 10:09 #

    Vraiment intéressant!
    Au début, je trouvais ca un peu “gnan-gnan”, mais finalement, très bien!
    J’aime beaucoup.

  2. Solkys
    May 25th, 2011 at 10:59 #

    Merci ! Heureux de t’avoir fait passer un bon moment 🙂

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